Quelques extraits :

Terre sauvage :

Terre dépouillée... Aucune hauteur, aucun bois, mais l'espace, le vent, la pureté de la lumière. Si proche, surtout, la mer. Avant toute chose, il y avait la mer : la mer plate, verte ou bleue des beaux jours, qui offre aux jeux des enfants sa fraîcheur, ses architectures de roches, ses sables, la vie excitante des marées - à l'heure dite réveillant l'algue, le coquillage, toutes les bêtes marines engourdies. Ou la mer blanche, grise, noire de la mauvaise saison, soulevée en montagnes, fouettée de pluie, disparaissant sous une brume fumeuse d'où elle émerge soudain, parée de vert et d'or comme la queue d'un fabuleux poisson... Avant toute chose, il y avait cette eau toujours présente et sans limite, pour ceux de notre bord tourné au large où, suivant la luminosité du temps, on pouvait voir surgir en un point, un phare, deux phares, la pâle silhouette de Belle-Ile, qu'un petit miracle atmosphérique rend quelquefois si proche, précise comme un bijou. On connaissait des tapages démesurés ou bien, dans les calmes, cette paix de l'étale, ce friselis presque imperceptible du flot. Et encore, d'aspect toujours saisissant - lorsque le vent vient de terre et emporte le bruit - la vision fantomatique d'une violence muette.

Histoires de pêcheurs :

"On était, disait-il, sur les lieux de pêche. Il faisait grand calme et une chaleur à crever. Nous, on en voyait plusieurs autres, qui pouvaient nous distinguer aussi bien, malgré la brume d'orage. Aucun ne bougeait. Le temps devenait de plus en plus lourd et, sans même faire un mouvement, la sueur coulait. La brume s'épaississait. On ne voyait plus les autres. Tout d'un coup, les drisses se sont mises à chanter, comme ça, sans un souffle. Comme des cordes de violon... Ça faisait un drôle d'effet, dans le calme. Et puis, le feu Saint-Elme s'est allumé en haut des mâts. On avait toutes voiles dehors, ce qui ne servait pas à grand-chose, mais ça ne risquait rien non plus. Nous, en tout cas, on croyait. On n'a pas eu le temps de voir venir le vent. Ça nous a emportés tellement brutalement qu'on traçait droit devant, en flèche, avant de pouvoir seulement faire un geste pour modérer la voilure. Un vent terrible qui, d'un seul coup, a fendu la grand-voile du haut en bas. Du haut en bas... C'est ça qui nous a sauvés.

"Mais, ce qui a été le plus drôle, c'est de retrouver les autres le lendemain. Il y en avait, comme nous, tout couverts d'avaries, pendant que d'autres... frais comme I'oeil! La tornade avait dû se tortiller entre nous. Quelques-uns n'avaient rien senti et, comme la brume s'était épaissie, ils n'avaient même pas vu ce qui arrivait aux autres!... Ah ! On peut dire qu'on faisait des drôles de têtes, l'un, l'autre, quand on s'est regardés!... "

L'Ankou :

Se levant une nuit pour boire un peu d'eau et trouvant la cruche vide, il s'était rendu, dans l'obscurité où il voyait comme un chat, à la fontaine proche de la porte de l'église, longeant, sans y faire attention tout d'abord, les fenêtres assez basses. jusqu'à ce que, le coeur battant, que voit-il au travers ? C'est qu'il règne dans la nef une grande clarté. Cette église, c'est, bien entendu, notre chapelle de village dont il n'était pas encore le bedeau, mais où l'on ne saurait, surtout dans le secret, donner un office de nuit! Or, voilà que se hissant, collant son oeil au coin cassé du vitrail, il voit que, non seulement brûlent tous les cierges, mais que s'aligne sur les bancs une foule. Et non pas une foule de gens du village actuellement connus de lui, mais bien de trépassés. Entre autres, reconnaissables à leur allure ou à leurs vêtements, ceux de la famille, tous ceux que lui rappelait sa mémoire, se tenant là, penchés, perdus dans leur prière, ne tournant pas un instant la tête vers lui (de sorte qu'il n'aurait su dire s'ils avaient leur propre visage ou celui de la mort), mais laissant entre eux une place vide, dont il comprit immédiatement qu'elle était la sienne. Il disait qu'oubliant sa soif, il avait regagné la maison et s'était couché dans une sueur glacée, sûr, absolument sûr que l'Ankou - l'Ange de la Mort - venait de se manifester, que le pire l'attendait...

Point de vue :

Plus que l'histoire des femmes de Groix, c'est l'histoire d'une femme, sa propre histoire qu'Anne Pollier retrace dans cet ouvrage. Alliant la spontanéité de l'enfant à la clairvoyance de l'adulte, Anne Pollier n'hésite pas à faire le parallèle entre une cérémonie religieuse observée en 1920 en Bretagne et une autre observée au Sri-Lanka un demi-siècle plus tard. Ce sont ces deux approches qui font la force de ce témoignage. A travers les épreuves, mais aussi les joies d'une famille modeste non dépourvue d'une certaine tendresse AP raconte aussi son amour pour une terre qui plus qu'une île est aussi, on le devine, un symbole, de liberté, de sauvagerie, de gaîté, en un mot, de paradis.




Grand Quai

Matin

L'Estuaire

La Petite Chanson

La nuit du havre

Femmes de Groix

Reflets dans un Canal

Groix-Paris 1940


Lettres de Groix...



 




Femmes de Groix