Alicante
Une
orange sur la table
Ta robe sur le tapis
Et toi dans mon lit
Doux
présent du présent
Fraîcheur de la nuit
Chaleur de ma vie.
Vous
allez voir ce que vous allez voir
Une fille
nue nage dans la mer
Un homme barbu marche sur l'eau
Où est la merveille
des merveilles
Le miracle annoncé plus haut ?
Premier
jour
Des draps
blancs dans une armoire
Des draps rouges dans un lit
Un enfant dans sa
mère
Sa mère dans les douleurs
Le père dans le couloir
Le couloir dans
la maison
La maison dans la ville
La ville dans la nuit
La mort dans un
cri
Et l'enfant dans la vie.
Le
paysage changeur
De deux
choses lune
l'autre c'est le soleil
...
La Cène
Il sont à
table
Ils ne mangent pas
Ils ne sont pas dans leur assiette
Et leur
assiette se tient toute droite
Verticalement derrière leur
tête.
Déjeuner
du matin
Il a mis
le café
Dans la tasse
Il a mis le lait
Dans la tasse de café
Il
a mis le sucre
Dans le café au lait
Avec la petite cuiller
Il a
tourné
Il a bu le café au lait
Et il a reposé la tasse
Sans me
parler
Il a allumé
Une cigarette
Il a fait des ronds
Avec la
fumée
Il a mis les cendres
Dans le cendrier
Sans me parler
Sans
me regarder
Il s'est levé
Il a mis
Son chapeau sur sa tête
Il a
mis
Son manteau de pluie
Parce qu'il pleuvait
Et il est parti
Sous la pluie
Sans une parole
Sans me regarder
Et moi j'ai pris
Ma tête dans ma main
Et j'ai pleuré.
Le Cancre
Il dit
non avec la tête
mais il dit oui avec le coeur
il dit oui à ce qu'il
aime
il dit non au professeur
il est debout
on le questionne
et
tous les problèmes sont posés
soudain le fou rire le prend
et il efface
tout
les chiffres et les mots
les dates et les noms
les phrases et
les pièges
et malgré les menaces du maître
sous les huées des enfants
prodiges
avec les craies de toutes les couleurs
sur le tableau noir du
malheur
il dessine le visage du bonheur
Sables
mouvants
Démons et
merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée
Démons et
merveilles
Vents et marées
Et toi
Comme une algue doucement caressée
par le vent
Dans les sables du lit tu remues en rêvant
Démons et
merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée
Mais dans
tes yeux entrouverts
Deux petites vagues sont restées
Démons et
merveilles
Vents et marées
Deux petites vagues pour me
noyer.
Pater
noster
Notre
Père qui êtes aux cieux
Restez-y
Et nous nous resterons sur la terrre
Qui est quelquefois si jolie
Avec ses mystères de New York
Et puis
ses mystères de Paris
Qui valent bien celui de la Trinité
Avec son petit
canal de l'Ourcq
Sa grande muraille de Chine
Sa rivière de Morlaix
Ses bêtises de Cambrai
Avec son Océan Pacifique
Et ses deux bassins
aux Tuilleries
Avec ses bons enfants et ses mauvais sujets
Avec toutes
les merveilles du monde
Qui sont là
Simplement sur la terres
Offertes à tout le monde
Éparpillées
Émerveillées elles-même d'être
de telles merveilles
Et qui n'osent se l'avouer
Comme une jolie fille
nue qui n'ose se montrer
Avec les épouvantables malheurs du monde
Qui
sont légion
Avec leurs légionnaires
Aves leur tortionnaires
Avec les
maître de ce monde
Les maîtres avec leurs prêtres leurs traîtres et leurs
reîtres
Avec les saisons
Avec les années
Avec les jolies filles et
avec les vieux cons
Dimanche
Entre les
rangées d'arbres de l'avenue des Gobelins
Une statue de marbre me conduit
par la main
Aujourd'hui c'est dimanche les cinémas sont pleins
Les
oiseaux dans les branches regardent les humains
Et la statue m'embrasse mais
personne ne nous voit
Sauf un enfant aveugle qui nous montre du
doigt.
- Barbara
-
Rappelle-toi
Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais
souriante
Épanouie ravie ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi
Barabara
Il pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t'ai croisée rue de
Siam
Tu souriais
Et moi je souriais de même
Rappelle-toi Barbara
Toi
que je ne connaissais pas
Toi qui ne me connaissais
pas
Rappelle-toi
Rappelle-toi quand même jour-là
N'oublie pas
Un
homme sous un porche s'abritait
Et il a crié ton nom
Barbara
Et tu as
couru vers lui sous la pluie
Ruisselante ravie épanouie
Et tu t'es jetée
dans ses bras
Rappelle-toi cela Barbara
Et ne m'en veux pas si je te
tutoie
Je dis tu à tous ceux que j'aime
Même si je ne les ai vus qu'une
seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s'aiment
Même si je ne les connais
pas
Rappelle-toi Barbara
N'oublie pas
Cette pluie sage et
heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse
Cette pluie
sur la mer
Sur l'arsenal
Sur le bateau d'Ouessant
Oh Barbara
Quelle
connerie la guerre
Qu'es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de
fer
De feu d'acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses
bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh
Barbara
Il pleut sans cesse sur Brest
Comme il pleuvait avant
Mais ce
n'est plus pareil et tout est abimé
C'est une pluie de deuil terrible et
désolée
Ce n'est même plus l'orage
De fer d'acier de sang
Tout
simplement des nuages
Qui crèvent comme des chiens
Des chiens qui
disparaissent
Au fil de l'eau sur Brest
Et vont pourrir au loin
Au loin
très loin de Brest
Dont il ne reste rien.
Prévert